Nétafrique a accordé une interview à Yacouba Isaac Zida, sur les élections du Burkina Faso

Netafrique a pu interviewer en exclusivité l’ex premier ministre burkinabè Yacouba Isaac Zida. Exilé au Canada depuis 2016, il est aujourd’hui pleinement engagé dans la course à la magistrature suprême pour présider la destinée du Burkina Faso durant ces 5 prochaines années. Sans détours, il aborde ici plusieurs points tels que la situation sécuritaire, le bilan de la gestion du président Roch Kaboré, ses relations avec le CDP et l’UPC.
Voici l’interview dans son intégralité :
Qu’est-ce qui vous a motivé à être candidat à ces élections présidentielles ?
Permettez-moi tout d’abord vous remercier pour l’occasion que vous m’offrez en tant que candidat à l’élection présidentielle pour m’adresser à mes concitoyens notamment aux électeurs qui auront la très grande responsabilité désigner un dirigeant pour notre pays le 22 novembre prochain. Cela dit, je réponds à votre première question en disant que ce qui me motive à me présenter comme candidat, c’est la situation de déliquescence dans laquelle se trouve notre pays. Depuis 2016, les conditions de vie de la très grande majorité des burkinabè s’est dégradée continuellement.
Au plan sécuritaire les attaques terroristes ont causé la mort de milliers de personnes parmi les soldats et les civils, et provoqué le déplacement de plus d’un million de nos compatriotes avec eux des centaines de milliers d’enfants qui n’ont plus accès à l’école et vivent dans une précarité inouïe. 20% de notre territoire échappe désormais au contrôle de l’État et les terroristes y règnent en maîtres absolus. La famine menace plus de deux millions de burkinabè selon les chiffres de programme alimentaire mondial (PAM).
Depuis que notre pays existe il n’a jamais connu une telle catastrophe. La mal gouvernance a atteint également un niveau inimaginable avec la corruption dans les plus hautes sphères de l’État y compris dans les cabinets ministériels et même à la présidence du Faso. C’est parce que je ne supporte pas de voir mon pays tomber si bas et les burkinabè perdre leur intégrité et leur dignité, que je me présente comme candidat à cette élection présidentielle, parce que je sais que je suis capable de mettre fin à cet état de déconfiture de notre nation, de redonner la dignité à la femme et à l’homme burkinabè, de repositionner notre pays avec honneur sur la scène internationale. Ma mission est claire et simple : je veux avec l’ensemble des burkinabè femmes comme hommes de toutes les régions, de toutes les religions, de toutes obédiences politiques confondues, tous ensemble, bâtir un Burkina Faso sécurisé et sûr, stable, d’espoir, et de progrès durable.
Pensez-vous que vous avez le profil idéal ?
Aujourd’hui, notre pays est en crise et ce qu’il lui faut c’est à sa tête, une personne d’expérience et compétente, je dirais simplement apte à gérer ce genre de situation. En ces moments difficiles, notre pays, le Burkina n’a pas besoin d’un papa noël mais plutôt d’un général. Quand la situation va s’arranger, quand les terroristes ne seront plus entrain de massacrer nos soldats et que nos populations seront entrain de vaquer sereinement à leurs occupations, quand notre pays aura pris son envol vers le développement, ceux qui veulent boire le champagne et danser le zoblazo pourront revenir gérer ; mais pour l’instant de grâce ils n’ont pas leurs places à la tête d’un pays en pleine crise comme le nôtre.
Est-ce que vous croyez réellement à vos chances étant donné que vous êtes hors du pays ?
Je dois d’abord vous dire que je suis hors du pays par la seule volonté du président du Faso et de son parti qui depuis leur arrivée aux affaires ont entrepris une cabale politico-judiciaire contre ma personne. Mon seul péché est d’avoir réussi à conduire ce pays de manière exemplaire pendant une année et d’avoir montré à nos populations qu’il n’est pas besoin d’être un politicien de carrière pour réussir mais tout juste d’aimer son pays et de vouloir le faire avancer.
Le MPP sachant qu’il ne pourrait faire mieux a ainsi décidé de me vouer aux gémonies pour qu’au cas où j’envisagerai de m’intéresser à la politique, cela soit difficile. Évidemment ils ont échoué lamentablement puisqu’ils ont produit eux-mêmes exactement ce qu’ils ne souhaitaient pas avoir, c’est à dire un opposant en qui le peuple fait confiance. Aujourd’hui c’est principalement parce que je ne suis mêlé en rien à la gouvernance de ce régime MPP que je peux peut me présenter aux burkinabè comme une alternative. Mon absence ne fait moins de moi qui je suis, et étant absent je constate que les burkinabè ne m’ont pas oublié, et puisque ce sont eux qui feront leur choix le 22 novembre, je suis sûr de gagner cette élection.
Certains disent que vous devez rentrer battre campagne afin de vous assumer courageusement. Etes-vous de cet avis ?
Ceux qui disent cela ont parfaitement raison. Je suis le premier à vouloir rentrer, mais comme je vous l’ai dit le président Kaboré s’y oppose catégoriquement. Il me l’a dit de vive voix au téléphone lorsque nous avons échangé sur cette question, et il l’a répété à plusieurs reprises au Pr Loada, président du MPS. En fait il le prend comme une affaire personnelle qu’il qualifie de défi à son autorité. Il se dit que lorsqu’il m’a demandé de rentrer en 2016 je ne l’ai pas obéi et à présent je veux rentrer de ma propre initiative pour prendre part au processus électorale en cours en ma qualité de candidat.
Vous comprenez donc que ce n’est pas un manque de volonté si je ne suis pas rentré pour battre campagne. Je pourrai ignorer les états d’âme du président Kaboré et arriver à Ouagadougou tout comme je suis parti, mais j’anticipe sa réaction et tout le trouble que cela pourrait provoquer en cette période électorale.
En tant qu’ homme attaché aux valeurs de paix, j’ai en toute responsabilité écarté cette option et en lieu et place j’ai instruis mes avocats de déclencher une procédure judiciaire devant les juridictions compétentes pour que soit annulé ce mandat d’arrêt sur quoi Kaboré s’appui pour comme il le dit pour m’arrêter dès l’aéroport. Il ne s’agit donc pas d’un manque de courage mais plutôt d’un choix responsable ; car il est vrai le courage est une vertu cardinale chez le sujet politique, mais le courage et l’audace sans patience et sans aucune intelligence ne vous conduiront jamais à la victoire. Si j’avais atterri à Ouaga la veille du congrès de mon parti le 25 septembre dernier, aujourd’hui je doute que je sois candidat. Mes militants auraient pu être incontrôlés ou infiltrés pour nous créer des problèmes que jusqu’à présent nous n’avions pas. Je souhaite en tant que père donné le bon exemple à cette génération de jeunes qui déborde d’énergie afin qu’ils comprennent qu’il leur reste à savoir canaliser ces énergies là afin de devenir les leaders qui vont bâtir notre nation demain.
Aujourd’hui votre parti politique le MPS et vous-même êtes signataires de l’accord politique de l’opposition. Pourquoi n’avoir pas choisi de vous aligner avec la majorité ?
Merci pour cette excellente question. Nous croyons qu’il sera difficile pour un candidat de remporter les élections de novembre au premier tour, quoi que rien ne soit véritablement impossible. Mais d’un autre côté la chance que nous avons de changer les choses sont plus probables de l’extérieur que de l’intérieur. Si vous regardez aujourd’hui la configuration de la majorité, il y a des partis qui y sont allés en toute bonne foi espérant avoir à imprimer leurs marques pour une bonne gouvernance, mais malheureusement eux-mêmes sont plus perdus aujourd’hui que les caciques du MPP.
Tous sont aveuglés par l’illusion que donne le pouvoir d’être invincible, d’être l’Alpha et l’Oméga, et d’avoir toute la raison du monde. C’est pourquoi il est difficile voire impossible de changer un régime de l’intérieur, si ce n’est de le combattre de l’extérieur. Nous avons donc fait le choix d’aller à une alliance avec l’opposition et j’espère que les uns et les autres comprennent qu’il s’agit d’une alliance de circonstance et que si c’est à travers cette alliance que nous gagnons les élections, il va falloir s’asseoir un bon moment afin d’aplanir certaines divergences de fond avant de se mettre en marche pour bâtir le Burkina meilleur. Au nombre de ces divergences il y a l’idéologie libérale de l’UPC qui est contraire à notre position de gauche.
Chacun semble convaincu de son choix pour faire avancer notre pays mais le problème c’est que c’est la nuit et le jour en même temps. Une autre divergence est avec le CDP l’ancien parti au pouvoir qui tout en étant un parti social-démocrate comme nous du MPS, rechigne à assumer sa responsabilité historique dans l’insurrection populaire d’octobre 2014. S’il y a eu insurrection c’est que quelqu’un a créé les conditions favorables à cette insurrection et il ne coûte absolument rien de reconnaître sa part de responsabilité pour l’histoire et pour la vérité historique. Je voudrais toutefois dire que j’ai très bon espoir car nous discutons ensemble et la glace se brise petit à petit, nous faisant tous bien comprendre que nos égos n’ont pas de place là où il est question de l’intérêt supérieur de notre pays. L’accord politique de l’opposition qui regroupe pratiquement tous les candidats à la présidentiel sauf bien entendu le candidat de la majorité et le candidat indépendant, est donc une chance unique pour le Burkina Faso d’opérer le changement ce 22 novembre.
A propos de cet accord politique dont le CDP aussi est signataire, Maitre Bénéwendé Sankara a eu à déclarer que le retour du CDP aux affaires sera une catastrophe. Etes-vous du même avis que lui ?
Évidemment, je ne suis pas d’accord avec maître Bénéwendé sur cette déclaration. Le régime MPP auquel il s’est associé est la pire catastrophe que le Burkina Faso indépendant n’a jamais connue. Même pendant les deux guerres de 1974 et de 1985, notre territoire était à 100% sous notre contrôle et nos populations y vivaient sans s’inquiéter. Son président actuel était au CDP pendant 26 années aux côtés du président Blaise Compaoré mais jamais notre pays n’a connu autant de remous sociaux, un tel niveau de chômage et de morosité économique.
En quoi est-ce que le CDP sera une catastrophe plus que celle dans laquelle le MPP nous a plongés ? Je ne suis pas du tout de son avis et j’aimerais bien l’inviter à clarifier sa déclaration. S’il extrapole sa situation personnelle pour dire que ce qui est une catastrophe pour lui Bénéwendé est une catastrophe pour le Burkina, je suis désolé mais l’État n’a pas été créer pour sa personne ni pour aucun autre individu, et il faut qu’ils sachent que lorsqu’ils sont au frais en train de boire leur petit lait il y a des millions de burkinabè qui ne savent pas s’ils verront encore le jour demain et s’ils auront de quoi nourrir leurs progénitures ; c’est cela que moi j’appelle catastrophe.
Quel bilan faites-vous des 5 ans de gestion de pouvoir du MPP et du président Roch Kaboré ?
Je ne sais pas s’il existe une expression pour qualifier en un seul mot la gestion du pouvoir par le MPP et son président Roch Kaboré. Le Burkina Faso est devenu sous ce pouvoir ce que je qualifierai de l’épicentre de la catastrophe. Vous comprenez bien que lorsqu’il y a un tremblement de terre le point où l’intensité a été la plus grande. Nous vivons déjà dans un monde globalement en crise avec les problèmes sécuritaires les problèmes économiques aggravés par la pandémie de COVID-19, et l’Afrique est parmi tous les continents celui qui le plus touchés par ces problèmes avec des conséquences humanitaires énormes, puis en Afrique c’est la région du Sahel qui se distingue négativement, et enfin, et malheureusement dans le Sahel c’est notre pays le Burkina qui se partage avec le Mali et le Niger la palme.
Il y a quelques années, ce n’était pas du tout le cas, notre pays avait des difficultés d’autres nature, mais pas des milliers de morts et un million de déplacés liés à l’insécurité. Pour la première fois de notre histoire l’État a perdu le contrôle sur une bonne partie de notre territoire. Les problèmes sociaux ne sont jamais résolus et ne font que cristalliser la vie de la nation. La fierté d’un pays se trouve dans sa jeunesse, mais malheureusement au Burkina sous Roch on assiste à la clochardisation de notre jeunesse frappée de plein fouet par la pauvreté et le chômage. Des centaines de milliers d’enfants sont déscolarisées. Pour me résumer le Burkina sous ce régime ressemble à un navire sans capitaine pris dans une tempête.
Parlant du terrorisme, le président Kaboré maintient qu’il est toujours hors de question de négocier avec les terroristes. Quel est votre avis ?
Oui nous avons entendu cela mais je veux croire que c’est un langage diplomatique, mais la multiplication des attaques sur le terrain, la dernière en date du 11 novembre entre Gorom et Tin-Akoff et qui a coûté la vie à quatorze de nos soldats, me convainc que ce qu’il dit est effectivement sa décision, son choix politique, mais que moi je qualifierai simplement d’entêtement. Il n’y a pas de mal à négocier avec les terroristes. La guerre n’est que la continuation de la diplomatie par d’autres moyens selon le général Carl Von Clausewitz. Négocier signifie simplement déplacer la guerre d’un terrain vers un autre terrain. Négocier ne signifie pas que lui Kaboré est un lâche mais cela voudra dire qu’il cherche la paix pour ses concitoyens. Il y a quelques semaines la puissante France et le Mali ont négocié la libération de Sophie Pétronin et de l’opposant malien Soumaïla Cissé, cela n’empêche pas les opérations militaires de se poursuivre sur le terrain.
Sur ce point je vous assure que je suis prêt à négocier avec les terroristes, pas les combattants qui sont sur le terrain, mais leurs soutiens, ceux qui les fournissent armes et logistiques. Cette guerre asymétrique ne peut pas se gagner que par les armes, et le président Roch devrait le savoir et ne pas courir le risque de nous conduire vers une somalisation de notre pays. Ce n’est pas quand les terroristes seront aux portes de Ouagadougou et contrôler 50% du territoire qu’il faudra commencer à négocier ; il serait trop tard et nous serions nettement en position de faiblesse, et négocier en ce moment ne sera rien d’autre qu’un reddition. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir ?
Quel sera votre stratégie sur cette question ?
Merci de noter effectivement qu’il faut une stratégie. C’est ce qui nous manque actuellement dans notre combat contre le terrorisme. Ma stratégie sera d’apporter simplement une double réponse à la question c’est à dire une sur le terrain, et l’autre sur le plan stratégique et diplomatique ; toutes les deux réponses vont se faire concomitamment.
D’abord sur le terrain il faut reconnaître qu’il y a des faiblesses au niveau de nos forces de défense et de sécurité à savoir, l’insuffisance d’effectifs pour couvrir efficacement le territoire national. Cela sera remédié par des recrutements conséquents.
D’un autre côté la question matérielle qui est connue et qui n’est toujours pas résolue sera vite réglée par l’acquisition de matériels bien adapté et en quantité suffisante.
La troisième faiblesse et il faut le signaler est l’inexistence d’un service de renseignement de qualité. La question du renseignement est cruciale et nulle ne peut gagner un combat sans un renseignement efficace. Les agents existent mais ils sont mal organisés et très mal encadrés. Avec un règlement rapide de ces problèmes d’effectifs, de matériels et de renseignement, nous allons très vite reprendre le dessus sur le terrain et réduire considérablement les attaques des terroristes et restreindre leurs marges de manœuvres.
Au même moment et sur le plan stratégique et diplomatique, nous allons aller en négociation avec leurs parrains afin de faire cessez leurs soutiens aux groupes qui opèrent dans notre pays. En une phrase, nous allons agir efficacement sur le terrain en réglant les problèmes d’effectifs par des recrutements, d’équipements par l’acquisition de matériels bien adaptés et en quantité suffisante, de renseignement en réorganisant ce service de renseignement pour le rendre efficace, et enfin une coopération internationale stratégique par une diplomatie efficace.