Elections en Côte d’Ivoire : Zoom sur les motifs du rejet des candidatures de Guillaume Kigbafori Soro et de Laurent Gbagbo.

Le Conseil Constitutionnel de la République de Côte d’Ivoire a rendu sa décision sur la liste des candidats admis à prendre part à l’élection présidentielle d’octobre prochain en sa séance du lundi 14 septembre 2020.
Dès la publication, cette décision tant attendue a suscité des réactions controverses de part et d’autres. Sur les 44 dossiers que la haute juridiction a reçu de la commission électorale indépendante, seulement 04 ont été validés. Pour une raison ou pour une autre en tout cas la cour a su être à mesure de déclarer 40 candidatures irrecevables.
Nous avons fait un zoom sur la décision de la cour en ce qui a trait aux motifs du rejet des candidatures de Guillaume Kigbafori Soro et de Laurent Gbagbo, deux candidats influents et incontournables dans la politique ivoirienne.
39 -Sur la déclaration de candidature de Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME
Considérant que, Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME, né le 08 mai
1972 à Kofiple, Sous-préfecture de DIAWALA, se disant Enseignant, domicilié à COCODY RIVIERA GOLF, investi par le groupement politique dénommé « Générations et Peuples Solidaires » (GPS), a déposé sa déclaration de candidature à la Commission Electorale Indépendante, le 31 août 2020 ;
Que, cependant, il ressort de l’examen de son dossier qu’il ne figure pas sur la
liste électorale et que son exclusion de ladite liste, ordonnée par la Commission Electorale Indépendante le 21 août 2020, a été, sur son recours, confirmée en dernier ressort par Ordonnance N°18 Civ3/2020 du 28 août 2020 du Président du Tribunal de Première Instance de Korhogo, statuant en matière de contentieux de la liste électorale ;
Considérant que, par requête en date du 06 septembre 2020, Monsieur SORO
KIGBAFORI GUILLAUME, par l’organe de ses Conseils, Maîtres TOURE KADIDJA, la SCPA ORE-DIALLO SOULEYMANE et Associés, la SCPA HOUPHOUET-SORO-KONE , Maître GOHI BI RAOUL, ESMEL CALIXTE, EMILE SUY BI, OUATTARA ZANA, tous Avocats au Barreau de Côte d’Ivoire, Maîtres AFFOUSSY BAMBA, ROBIN BINSARD, CHARLES CONSIGNY, EMMANUEL DAOUD, WILLIAM BOURDON, tous Avocats au Barreau de Paris, a saisi le Conseil constitutionnel pour « solliciter la modification de la liste des candidats à l’élection présidentielle par (Sa) réinscription au sein de celle-ci, en application des dispositions de l’article 127 de la Constitution du 08 novembre 2016 et 56 du Code électoral » ;
Considérant qu’au soutien de cette requête, il explique que la condamnation
pénale ayant servi de support à son éviction de la liste électorale a été prise en violation des dispositions pertinentes de la Constitution, de la hiérarchie des normes juridiques, de ses droits civiques et politiques tels que prévus aux articles 19, 20 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en violation également des droits de la Défense et du principe du droit à un procès équitable ;
Considérant que, par une autre requête en date du 05 septembre 2020,
enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel le 06 septembre
2020 sous le numéro 02/EP/2020, Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME, par la voie de son même collectif d’Avocats, a saisi la juridiction constitutionnelle d’un recours en inconstitutionnalité de l’Ordonnance N°2020-356 du 08 avril 2020 portant Code électoral, et de la Décision N°CI-2020-008/28-07/CC/SG du 28 juillet 2020 portant mise en place du dispositif de vérification des parrainages des candidats à l’élection présidentielle et fixant les modalités de son fonctionnement, rendue par le Conseil constitutionnel ;
Considérant, sur la recevabilité de cette demande, que Monsieur SORO
KIGBAFORI GUILLAUME, qui a saisi le Conseil constitutionnel d’une requête aux fins de réinscription sur la liste électorale, possède la qualité de plaideur ; que ladite requête, introduite dans les formes et délais prévus par l’article 135 de la Constitution, doit être déclarée recevable ;
Considérant, également en la forme, mais sur la recevabilité de la requête aux fins de réinscription sur la liste électorale, qu’aux termes de l’article 56 du Code électoral, « Dès réception des candidatures, celles-ci sont publiées par le Conseil constitutionnel. Les candidats ou les partis politiques les ayants investis éventuellement, adressent au Conseil constitutionnel leurs réclamations ou observation dans les soixante-douze heures suivant la publication des candidatures » ;
Considérant que, la présence de Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME
sur la liste provisoire des candidats transmise par la Commission Electorale Indépendante au Conseil constitutionnel, l’autorise à saisir cette juridiction, en application du texte sus-cité ;
Considérant sur le fond, s’agissant du recours en inconstitutionnalité de l’Ordonnance portant modification du Code électoral que, pour se prévaloir de ce moyen, Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME soutient qu’en signant ce texte, le Président de la République, Chef du Pouvoir Exécutif, s’est immiscé dans le domaine de compétence du Législatif qui, seul, a qualité pour légiférer en matière électorale, et, de ce fait, a violé la Constitution qui organise la séparation des pouvoirs ;
Considérant que ce moyen ne saurait prospérer car l’Ordonnance contestée a été encadrée par une loi d’habilitation et une loi de ratification émanant du parlement, conformément aux dispositions de l’article 106 de la Constitution ;
Considérant par ailleurs que, s’agissant du moyen tiré de l’inconstitutionnalité
de la décision N°CI-2020-008/28-07/CC/SG du Conseil constitutionnel, qu’il ne saurait, non plus, prospérer ;
Qu’en effet, l’article 135 de la Constitution, qui institue le recours en
Inconstitutionnalité par voie d’exception, précise bien que cette procédure ne concerne que les textes à valeur législative et non les décisions de justice, comme celle qui est entreprise dans le cas d’espèce ;
Qu’en outre aux termes de l’article 137 alinéa 4 de la Constitution, les décisions
du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours ;
Considérant, toujours, sur le fond, mais sur la demande de réinscription du
requérant sur la liste électorale, que, selon l’article 126 de la Constitution, le Conseil constitutionnel, objet du titre 8 de la Constitution, est une juridiction constitutionnelle et non une juridiction de l’ordre judiciaire, régi, lui, par le titre IX de la loi fondamentale, et ne peut donc pas être une juridiction d’Appel ou de cassation d’une décision rendue par une instance judiciaire ;
Qu’au surplus, le contentieux de la liste électorale, tel que prévu par l’article 12
du Code électoral, ne prévoit aucun recours contre la décision du Président du Tribunal rendue à la suite d’une décision d’exclusion de la Commission Electorale Indépendante ;
Considérant que les éléments sus-exposés commandent de se déclarer incompétent
à ordonner la réinscription sur la liste électorale de Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME ;
Considérant ainsi que le dossier de candidature de Monsieur SORO KIGBAFORI GUILLAUME n’est pas conforme aux dispositions de l’article 48 du Code électoral qui subordonne la validité de la candidature à la Présidence de la République à la qualité d’électeur, laquelle résulte de l’inscription sur la liste électorale ;
Qu’il s’ensuit que la candidature de Monsieur SORO KIGBAFORI
GUILLAUME doit être déclarée irrecevable ;
40- Sur la déclaration de candidature de Monsieur GBAGBO LAURENT
Considérant que le Groupement politique dénommé « Ensemble pour la démocratie et la souveraineté » (EDS) a déposé par le canal du Professeur GEORGES-ARMAND OUEGNIN, responsable de cette structure, une déclaration de candidature à la Commission Electorale Indépendante, le 31 août 2020 au nom de Monsieur GBAGBO LAURENT, né le 1er janvier 1945 à BABRE, Commune de GAGNOA, Chercheur, domicilié à ABIDJAN-COCODY;
Que, cependant, il ressort de l’examen de ce dossier que Monsieur GBAGBO LAURENT ne figure pas sur la liste électorale, à la suite de son exclusion de ladite liste, ordonnée par la Commission Electorale Indépendante le 18 août 2020 et confirmée en dernier ressort, sur son recours, par Ordonnance N°01/CE/2020 du 25 août 2020 du Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, statuant en matière de contentieux de la liste électorale ;
Considérant ainsi, que le dossier de candidature de Monsieur GBAGBO
LAURENT n’est pas conforme aux dispositions de l’article 48 du Code électoral , qui subordonne la validité de la candidature à la Présidence de la République à la possession préalable de la qualité d’électeur, laquelle résulte de l’inscription sur la liste électorale;
Considérant par ailleurs que ce dossier n’est pas conforme à l’article 51 du
Code électoral qui dispose que « chaque candidat à l’élection du Président de la République est tenu de produire une déclaration de candidature revêtue de sa signature dûment légalisée » ;
Que la déclaration de candidature sensée émaner de Monsieur GBAGBO
LAURENT ne comporte pas la signature de celui-ci, mais plutôt celle, par ordre y est-il écrit, du Professeur GEORGES-ARMAND OUEGNIN, qui ne produit même pas une procuration prouvant qu’ordre lui a été effectivement donné par le candidat ;
Que dès lors, la preuve de la production d’une déclaration de candidature de
Monsieur GBAGBO LAURENT n’est pas établie ;
Considérant, au surplus, que, même s’il était inscrit sur la liste électorale, et
avait produit une déclaration personnelle revêtue de sa signature légalisée, la candidature de Monsieur GBAGBO LAURENT à l’élection du Président de la République du 31 octobre 2020 demeurerait irrégulière en ce que, membre de droit du Conseil constitutionnel, en tant qu’ancien Président de la République, et conformément aux dispositions de l’article 50 du Code électoral, il aurait dû renoncer, de manière expresse, à sa qualité de membre du Conseil constitutionnel au moins six (06) mois avant la date du premier tour du scrutin, soit le 30 avril 2020 ;
Que, jusqu’à ce jour, ladite renonciation n’est pas encore intervenue ;
Considérant ainsi que le dossier de candidature de Monsieur GBAGBO
LAURENT n’est pas conforme aux dispositions des articles 48, 50 et 51 du Code électoral et doit, en conséquence, être déclaré irrecevable ; ….»
Décision délibérée par le Conseil constitutionnel en sa séance du lundi 14 septembre 2020.
C’est cette décision qui a, à nouveau, mis le pays en trouble. Guillaume Kigbafori Soro a immédiatement déclaré qu’il « conteste vigoureusement la décision injuste et infondée prise ce lundi 14 septembre 2020 par le Conseil Constitutionnel. ». Avant de poursuivre, : « Je considère que c’est une décision inique, politiquement motivée, juridiquement boiteuse et qui s’inscrit dans une logique d’anéantissement de la démocratie et l’Etat de droit. »
Les manifestants contre un troisième mandat d’Alassane Ouattara qui étaient en repos depuis quelques jours ont ainsi repris le champ de la lutte.