Élections couplées du 22 novembre : « Plus de 100 milliards dépensés pour en être là. Ça fait très mal au cœur quand on aime son pays », Adama Amadé Siguiré, écrivain burkinabè.

Ceci est une tribune du jeune écrivain burkinabè Adama Amadé Siguiré sur les élections couplées ( présidentielles et législative) du 22 novembre 2020.
« Qui assumera la responsabilité de cette pagaille électorale digne d’un Burkina révolu?
Je reste droit dans mes bottes, même si je suis déçu comme beaucoup de Burkinabé par l’attitude de nos hommes politiques.
L’écrivain existentialiste français Jean- Paul Sartre qui avait une grande vision de la mission de l’écrivain dans la société et dans l’Etat disait ceci: l’écrivain est en situation dans son époque, chaque parole à ses retentissements, chaque silence aussi” Et c’est lui aussi qui assignait cette noble mission à l’écrivain quand il disait:” engagé dans l’univers du langage, l’écrivain doit faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse s’en dire innocent” Cet écrivain iconoclaste qui a refusé le prix Nobel de littérature en octobre 1964 m’a beaucoup inspiré. Et je le dis toujours. Je n’ai jamais caché ma proximité avec cet homme dans sa vision de la mission de l’écrivain. Mais, il y a des points de vue de Sartre que je ne partage pas. Depuis le début du processus électoral, j’ai toujours fait des publications pour donner courageusement mon point de vue. Ces publications, si elles me font quelques amis, je reconnais aussi qu’elles me font de grands ennemis et nuisent même parfois à ma carrière d’écrivain. Je me rappelle encore ce monsieur qui m’avait contacté pour une conférence avant de m’écarter parce qu’il estimait que j’attaquais le parti au pouvoir et lui, il était un militant déclaré du MPP. Et c’est un journaliste bien connu et proche du pouvoir qui m’a remplacé pour animer cette conférence. Mais s’engager pour une noble cause, c’est s’assumer.
En février 2020, je faisais une publication pour dire que les élections présidentielles se préparaient sur la base des fraudes et de la corruption électorales et cela n’augurait rien de bon pour notre pays. Nous sommes tous des citoyens. Et un citoyen doit avoir de l’argent pour établir sa pièce d’identité. Le rôle d’un ministre, d’un député ou de tout autre homme politique ,ce n’est pas d’établir des cartes nationales d’identité pour les citoyens. C’est la fraude qui se prépare. Si aucun article de la constitution ne condamne cela, sur le plan de la morale et de la dignité humaines , cela pose problème. Et dans une véritable démocratie, cela ne se fait pas. Soit, l’État subventionne le montant de la carte et chacun va l’établir, soit chacun se bat pour avoir son argent pour aller établir sa carte nationale d’identité . Et je voyais le mal venir. L’opposition assistait à ces actes de corruption électorale sans rien dire parce que des membres de l’opposition aussi établissaient des cartes d’identité dans certaines localités.. J’ai compris que tous nos hommes politiques sont pareils. Quand la fraude les arrange, personne ne parle. Ils dénoncent les fraudes quand elles ne les arrangent pas. Après cela, le parti au pouvoir a continué le sabotage des élections. On ne saurait comprendre que dans ce Burkina où des jeunes ont payé un lourd tribut, et cela de leur vie, pour la conquête de plus de démocratie, des hommes et des femmes décident d’organiser des élections sur la base des fraudes et des achats de conscience. Un ami m’a dit qu’on est venu proposer de l’argent à son épouse pour voter. Moi même, je me suis réveillé un matin, et mon épouse m’a dit que la présidente de leur association est venue récupérer sa carte électorale, comme quoi elles doivent chercher les papiers de leur association. Il y a quel lien entre carte électorale et papier de reconnaissance d’une association de femmes dans un secteur de Ouagadougou? Mais, je n’ai rien dit. Et la femme est revenue lui remettre la carte devant moi. J’ai peur des femmes du quartier et je ne veux même pas qu’elles sachent ce que je fais. .
On peut continuer à citer les actes de fraudes orchestrés, pas seulement par le MPP mais aussi par l’opposition. Tous les deux camps ont essayé de frauder et d’acheter les consciences des électeurs à vil prix. Aujourd’hui, l’opposition se rend compte de sa naïveté. Le MPP a plus réussi dans les fraudes que L’UPC et le CDP. Effectivement, si la CENI proclamait les résultats, Roch KABORE sortirait gagnant au premier tour avec un score qui dépasse les 55%. Et c’est la preuve d’un recul démocratique après toutes ces années de lutte. Les élections de 2020 sont la plus belle mascarade électorale au Burkina Faso jamais réalisée depuis 2000. Et nous voilà dans un cul de sac.
L’opposition ne vaut pas mieux que le parti au pouvoir. Personne n’a voulu jouer franc jeu pendant ces élections. L’opposition était convaincue d’un second tour tout en oubliant que les fraudes électorales peuvent tout bouleverser. Le MPP ,avide de pouvoir, en a aussi trop fait sans tenir compte de l’histoire politique de ce pays. Roch et ses hommes ont agi comme si nous étions en 1998. Convaincus qu’ils perdront le pouvoir au second tour, ils ont misé sur les moyens financiers pour acheter les consciences et tisser les fraudes électorales de mille manières avec un président de la CENI qui me déçoit sur toute la ligne, comme quoi les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs. Barthélemy KERE a su faire preuve de neutralité en 2O15 et il ne s’est laissé influencer par personne. J’étais à Bobo et à deux heures du matin, la victoire du président KABORE était définitive et elle était acceptée par Zéphirin DIABRE. Comment comprendre ce recul démocratique ?
Personnellement, au vu des résultats, je ne doute pas de la victoire de Roch KABORE. J’avais même dépassé ce stade. J’attendais les résultats officiels pour analyser et essayer de mieux comprendre la psychologie des électeurs. Ma grande préoccupation, c’est aussi comment Roch va gérer ce quinquennat. J’ai déjà dit dans une analyse qu’il pourrait gagner ces élections, mais son mandat sera très difficile. Des gens ont insulté mon père mort et ma pauvre mère. Mais, je connais bien le Burkinabè qui semble ne jouir que de trois choses: préjugés, passions et émotions. Moi, j’ai eu de grandes chances dans ma vie qui ont rendu mon âme sereine. J’ose même croire que j’entame le début de l’ataraxie Je n’ai jamais tremblé après avoir fait une publication. Et Je ne tremblerai jamais
Aujourd’hui, voilà où les émotions, les passions, la malhonnêteté et le manque de patriotisme nous conduisent. Et cela fait mal quand on voit comment le pays est déjà confronté à l’insécurité. Plus de 100 milliards dépensés pour en être là. Ça fait très mal au cœur quand on aime son pays. Mais,l’argent a détruit toutes les valeurs dans cette Nation. Quand nous réfléchissons, quand nous prévenons parce que nous avons eu une chance que beaucoup n’ont pas eue, au lieu de nous lire et de nous prendre au sérieux, on nous insulte. On nous calomnie. Un de mes lecteurs a dit qu’il a acheté cinq de mes livres parce qu’il m’admirait, mais il va les brûler parce que je soutiens l’opposition. C’est de la bêtise. Aucun président de parti politique de l’opposition ne peut jurer sur ses ancêtres que je l’ai déjà rencontré. S’il le fait, ses ancêtres vont le tuer le même jour. Mais, j’ai souvent du réconfort, car il y a des gens qui soutiennent le parti au pouvoir et qui trouvent un grain de patriotisme dans mes analyses. J’attendais même la victoire du MPP pour féliciter mes amis Justin BONKOUNGOU et Anastasie SAWADOGO qui ont sué sang et eau pour la réélection de leur candidat..
Que faire? Que les hommes politiques s’entendent entre eux. En aucun cas, le peuple ne devrait épouser une cause politicienne qui ne lui servirait à rien. Que ROCH gagne, ou que Eddie ou Zéphirin l’emporte, c’est la même chose. Personne ne devrait descendre dans la rue pour soutenir un groupe. C’est le résultat des calculs égoïstes, mesquins et politiciens qui nous a conduit dans ce cul de sac. Reprendre les élections? Il n’en est pas question. À moins que les hommes politiques ne cotisent pour financer ces élections. Le Burkina est trop pauvre pour se permettre ce luxe. Nous ne pouvons pas encore dépenser des milliards pour reprendre les élections.. Nous ne devons pas accepter cela. Qu’il y ait fraudes ou pas, il faut valider les élections et on va continuer ou bien que les partis politiques s’entendent. On ne peut pas gaspiller encore des milliards pour satisfaire des hommes et des femmes d’un même marigot, tous des politicards.
Ma déception est grande. Quand dans un pays, tout devient politique, c’est cela le résultat. La politique qui est la gestion de la cité est chez nous une maladie incurable qui gangrène tout le corps social.
Dieu bénisse le Burkina Faso et que nos ancêtres nous pardonnent et nous viennent en aide même si nous ne sommes pas dignes de leur héritage
Adama Amadé Siguiré »